L’histoire encore secrète de la place Aristide Briand

Bancs publics a envoyé à la Direction Régionale des Affaires Culturelles et au Préfet de Région une demande de « diagnostic préventif » concernant la Place Aristide Briand, en précisant l’importance archéologique de cette « Esplanade Centrale » de Sète.

Cette demande de « diagnostic préventif » n’est nullement une demande de « fouilles préventives ». Cette dernière demande ne pouvant être demandée que par la Mairie ou le maître d’ouvrage, la SPLBT. Mais elle permet d’alerter l’État de l’importance archéologique de cette place. En effet, ce projet onéreux, néfaste pour l’environnement et la santé, est aussi un projet destructeur de notre patrimoine. La municipalité, dans sa fougue à construire et bétonner même les sous-sols, oublie l’importance de cet endroit stratégique pour notre ville. Détruire la Place Aristide Briand pour y construire un parking souterrain dont le niveau le plus bas se situera à 2,80 mètres sous le niveau de mer, effacerait définitivement ce passé, ces traces de l’histoire de Sète et de son développement au XIXe siècle.

L’histoire de la Place Aristide Briand occupe une place centrale de l’histoire de Sète au XIXe et XXe siècles, mais elle n’a pas encore livré tous ses secrets

Secrets des histoires de vie des familles sétoises : combien de couples se sont-ils formés là ? Combien d’enfants y ont fait leur premier pas, aujourd’hui encore ? Combien d’élèves sont montés au kiosque en fin d’année scolaire pour y recevoir les prix de fin d’années ? Combien de musiciens y ont fait leurs armes ? Les témoignages des anciens racontent cette histoire toujours vivante dans les mémoires. Mais aussi secrets de l’histoire même de la ville, de son combat pour capter les eaux souterraines descendant des résurgences existantes sous le Mont Saint Clair. Secrets de ses constructions souterraines pour assurer ce captage de l’eau, mais aussi pour se protéger des attaques de l’ennemi.

À partir de sa création en 1666, la ville de Sète se développe le long du Canal Royal, en s’étendant peu à peu vers le Nord, en direction de l’étang de Thau. Au début du XIXe siècle, la population s’accroît significativement par l’arrivée de nouveaux habitants liée au développement des activités économiques générées par le port et la pèche. En 1821, Cette (qui deviendra Sète en 1928) compte 9000 habitants.

Les terrains qu’occupent aujourd’hui l’Esplanade et la Médiathèque (ancien hôpital) étaient des terres de maraîchage et des potagers. Au début du XIXe siècle, les élus municipaux se rendent compte qu’ils deviennent le lieu central du développement possible de la ville : « nous osons affirmer que ce point étant le seul de la ville, où vous puissiez espérer une extension, ce quartier deviendrait en peu de temps le plus central pour y établir de nouveaux marchés dont l’urgence se fait sentir » (Conseil municipal de Sète du 1er mars 1833). Dès lors, la municipalité rachète peu à peu à leurs propriétaires les terrains potagers existants, jusqu’à exproprier les derniers de manière telle qu’en 1841, ces terrains sont aménagés en promenade, avec des bancs  et des alignements d’arbres pour créer de la fraîcheur et servir d’éponge aux eaux souterraines, qui faisaient le bonheur des potagers. Ces alignements d’arbres remarquables sont depuis cette date un élément identitaire essentiel de la place et du centre ville.

Annexe 1. Premier plan d’aménagement de l’Esplanade de 1841

Entre 1821 et 1871 la population de la ville triple. Le port devient un port d’importation des vins espagnols, italiens, algériens. L’arrivée de la voie ferrée reliant Cette à Montpellier en 1839, une des toutes premières en France, contribue au développement économique de la ville, comme l’activité de savonnerie par exemple qui sera bientôt détrônée par Marseille.

Quai de la ville, mouvements commerciaux des vins

La deuxième moitié du XIXème siècle est un âge d’or pour la Ville. L’Esplanade Centrale devient le centre de la ville et un espace de vie sociale intense (on dénombre à l’époque jusqu’à 17 cafés) et le cœur commercial de la ville. Son marché hebdomadaire est créé en 1884, il perdure de manière très active jusqu’à aujourd’hui. Autour de la place, se construisent dans la cette seconde partie du XIXe siècle les immeubles actuels, de style haussmannien du côté du « Quai Inférieur » (rue du 8 mai) et de facture plus populaire et plus fragile du côté du « Quai Supérieur » (rue du 11 novembre). Sur le Quai inférieur est construit un théâtre, qui deviendra en 1921 un cinéma appelé aujourd’hui, le Comoedia.

Des concerts sont régulièrement organisés sur la Place, au point de considérer que l’installation d’une estrade permanente « n’a pas besoin d’être démontrée » (CM du 8 mai 1874). L’idée d’un kiosque à musique est lancée. Il faudra la générosité d’un commerçant mélomane, habitant sur la place, Johan Franke, pour que ce projet se concrétise et que l’estrade soit remplacée en 1892 par un vrai kiosque.

À 200 mètres en amont de l’Esplanade, est ensuite créé un parc, aménagé de rochers à l’image des Buttes Chaumont parisiennes, où est construit le Château d’Eau destiné à recueillir les eaux d’Issanka pour répondre aux besoins croissants en eau potable d’une population en pleine croissance.  Ce parc s’appelle aujourd’hui le Jardin du Château d’eau et Parc Simone Veil.

Lors de la seconde guerre mondiale, les bombardements anglo-américains de juin 1944 se sont concentrés sur les gares et les voies de communication, épargnant la ville de Sète et son Esplanade, où des ouvrages de défense passive sont créés et autour de laquelle, une vingtaine d’abris sont aménagés dans des caves d’immeubles.

En 1841, lors du premier aménagement de l’Esplanade Centrale, les puits existants (sans doute au nombre de six) ont été conservés, pour répondre aux besoins de la population et aux usages publics qui en étaient faits. Très vite, certains de ces puits ont été fermés pour des raisons de sécurité. Il en reste un, dans la cour du 12 rue du 8 mai, toujours inconnu car ne figurant sur aucune carte cadastrale (sans doute pour échapper à quelques taxes). Ce puits existe toujours avec une eau claire circulante à 2,5 mètres de profondeur. Dans ce puits à moins de 2 mètres débouche une galerie, qui n’a jamais été explorée. Ce n’est qu’en 1926 qu’un captage des eaux de la résurgence d’Issanka à neuf kilomètres au Nord de Sète, permet de créer un réseau d’adduction d’eau potable.

Dans les années 1840, dès la création de l’Esplanade, deux puits sont aménagés par la municipalité pour répondre en besoin en eau de la population. Aux deux extrémités de la place :

. Le premier à et sous la rue du 11 novembre avec une grande voûte aménagée de six mètres de haut, construite en briques, et une noria, dont le mouvement était assuré par la traction d’un âne et qui permettait de faire monter à la hauteur des passants des godets en céramique remplie d’eau potable (godets déposés au Musée Valéry pour conservation).

. Le second à l’autre extrémité, à l’angle Nord-Est, en face de l’immeuble du Crédit Maritime où habitait Johan Franke. Ce puits, d’un autre type (puits à pompe) permettait d’alimenter en eau potable non seulement les habitants, mais aussi des bateaux venant accoster à cette fin sur le canal, à proximité. L’existence de galeries souterraines reliant ces deux puits est régulièrement évoquée sans jamais avoir pu être attestée en l’absence de fouilles sous la place. Certaines d’entre elles ont probablement été utilisées au moment de la construction d’abris et de tranchées pendant la seconde guerre mondiale.

Pendant toute la fin du XIXe, d’autres puits continuaient d’être utilisés dans d’autres coins du centre-ville. Ils sont tous en liaison avec les abondantes eaux souterraines descendant du Mont Saint Clair. Une tentative de cartographie en a été faite en 1982.

Carte des anciens puits (1982)

Cette histoire n’est pas encore totalement étudiée. Il faudrait faire l’inventaire précis de ce patrimoine et des mesures de conservation possibles avant d’entreprendre un chantier qui bouleversera profondément et définitivement le cœur (dans tous les sens du terme) de Sète.